A l'heure ou certains regardent Les Experts, ou Stade 2, une trentaine de personnes avaient choisi d'assister à une conférence a la salle des fêtes de Vouvray. Et elles ont eu bien raison, car pendant près de deux heures, on a pu ainsi revisiter une de ces pages de l'histoire de France qui n'est guère à notre avantage. Pham van Thanh, dit Pierre Louis, a présenté son livre "L'enfance d'un petit Eurasien*".
Cet homme né d'une mère vietnamienne et d'un père français, à une époque où il y avait encore des colonies et où ce pays avait encore pour nom l'Indochine, s'est retrouvé arraché à sa famille en 1947 et envoyé en France. Débarqué à Marseille, il raconte dans son ouvrage cette arrivée dans un pays où il a dû s'adapter et même dû choisir entre deux métiers (le fer ou le bois), alors qu'il avait passé son certificat d'études.
Un témoignage poignant qu'il évoque d'une voix fatiguée. C'est sa femme Nicole, qui lit des passages du livre. On apprend au fil de la conférence que ces enfants étaient battus dans les internats (à l'époque, le châtiment corporel était ancré dans les moeurs). Ils devaient aussi faire face à l'humiliation. Ces enfants avaient échappé à la guerre dans leur pays d'origine, mais ce n'était pas pour autant la belle vie dans l'hexagone.
Débuté en 1947, le transfert des Eurasiens s'est accéléré en France après la défaite de Dien Bien Phu en 1954.
Ce passage de l'histoire est assez méconnu, sauf pour les anciens de Vouvray, qui ont connu le foyer des Eurasiens, et qui sont allés à l'école avec eux. Il y avait même dans l'assistance un habitant du bourg, Serge Toupart, qui en 1955 a été le premier à encadrer ces jeunes qui venaient d'arriver.
Combien sont-ils à avoir été déracinés et à avoir dû s'adapter à une autre culture ? 100 à 200 000 comme le dit "Pierre Louis", en indiquant au passage que ce chiffre est sans doute exagéré ? Ou 400 000**, comme le cite Serge Toupart, sur la foi d'un magazine de 1956 ?
La conférence avait débuté par la projection de l'extrait d'un documentaire, "Inconnu, présumé français", tourné par Philippe Rostand et sorti en 2011 en DVD. Un film qui donne la parole à ces Eurasiens, qui ont des prénoms bien français (Roger, Henri...) et qui racontent leur parcours. Le moment le plus savoureux était celui où, dans les vignes de Vouvray, un ancien pensionnaire de ce foyer qui était pont de la Cisse, indique qu'il a voulu rejoindre Marseille par la route pour repartir et qu'il a demandé son chemin à un viticulteur. Lequel a prévenu les gendarmes.
Pour sa part, le conférencier n'a pas séjourné à Vouvray, au temps de son enfance. Mais, il y est venu pour rendre visite à un ami Eurasien.
Pham van Thanh a eu du mal à écrire ce livre. On devine les blessures d'un homme qui a perdu sa mère de vue (même si elle est venue 4 fois lui rendre visite en France) et qui était même prêt à s'engager dans l'armée pour la retrouver au Laos. Il est retourné au Vietnam, en 2001, et y revient tous les deux ans en moyenne. Il se sent aujourd'hui plus Vietnamien que Français, imprégné de la culture (art, histoire, littérature) de ce pays où il est né. Il dit avoir pleuré en 54 pour les soldats français à la fin de la guerre d'Indochine, mais était contre les américains quand ils ont déclaré la guerre au Vietnam.
Encouragé par des témoignages d'Eurasiens, qui se sont reconnus dans cet ouvrage, Pierre Louis a repris la plume. Il prépare la suite.
La bibliothèque de Vouvray, qui organisait la conférence, donne d'ores et déjà rendez-vous le 21 mai 2016 pour un autre événement, toujours en lien avec les Eurasiens.
*Le livre a été publié par un éditeur vietnamien. Sorti en décembre 2014, le livre a été édité à 500 exemplaires en français et autant en vietnamien. Des éditeurs français ont refusé de le publier ou n'ont pas répondu à ses courriers.
**Chiffre avancé par la revue Tout Savoir et qui est une évaluation du nombre d'enfants procréés au hasard des combats et déplacements des différentes armées (américains, russes, japonais, allemands, britanniques, français) et qui se sont retrouvés sans père. On peut a priori retenir le chiffre de 100 000 pour ce qui est des Eurasiens.
Bonjour, je voulais vous signaler une petite erreur : sa mère ne lui a pas rendu visite à l'orphelinat en France mais au Vietnam.
RépondreSupprimerCordialement,
C; Labbé